JNRC 2025 : le REN-LAC jette un regard sur la corruption dans l’action humanitaire

Les panélistes ont échangé sur les dispositifs mis en place aussi bien par le gouvernement burkinabè que les organisations internationales pour prévenir la corruption dans l'action humanitaire, en soulignant l'importance de la formation, de la protection des lanceurs d'alerte et de l'amélioration des contrôles.

À l’occasion de la commémoration de la 20ème édition de ses traditionnelles Journées nationales du Refus de la Corruption (JNRC), le REN-LAC, en partenariat avec l’ASCE-LC et d’autres organisations de la société civile, a jeté un regard sur la corruption dans l’action humanitaire à travers un panel qui a réuni, vendredi 11 juillet, experts, acteurs étatiques, société civile, ONG et agences onusiennes.

Depuis 2015, le Burkina Faso est confronté à une crise sécuritaire et humanitaire sans précédent. Selon les données du Conseil national pour le Secours d’Urgence et la Réhabilitation (CONASUR), plus de deux millions de Burkinabè étaient contraints, fin mars 2023, de vivre loin de leurs foyers. Alors que l’action humanitaire apparait, dans ces conditions, comme un moyen crucial pour alléger la souffrance des nombreuses personnes déplacées, le secteur n’est pas épargné par les risques de corruption. En témoignent l’affaire de détournement de vivres dans la commune de Pissila et le procès Amidou Tiegnan qui ont mis en lumière la nécessité d’un contrôle renforcé de la gestion des ressources destinées à l’aide humanitaire. 

Partant de ce constat, le REN-LAC a décidé de placer la 20ème édition de ses Journées nationales du Refus de la Corruption (JNRC) sous le thème : « Corruption et action humanitaire au Burkina Faso ». D’après Pissyamba Ouédraogo, Secrétaire exécutif du Réseau, le panel de ce 11 juillet, qui coïncide également avec la 9ème Journée africaine de lutte contre la corruption, « vise à susciter des discussions constructives sur les manifestations de la corruption dans le secteur de l’humanitaire afin de contribuer à la mise en place de mécanismes anti-corruption efficaces ».

Risque élevé de corruption 

Expert anti-corruption et ancien chef des enquêtes à la Fédération internationale de la Croix Rouge (FIRC), André Caria est aujourd’hui associé gérant de Ariska Consulting LLC, une société de conseil sur la gestion des risques, l’audit interne, l’éthique et les enquêtes, basée à Genève. Auteur de la communication inaugurale du panel, il note que « l’action humanitaire a toujours suscité la convoitise d’acteurs malveillants ». 

Intervenant en ligne depuis Genève, l'expert anti-corruption André Caria conclut à l'importance stratégique de l'aide humanitaire pour de nombreux pays, invitant à une approche de lutte anti-corruption proactive.

En 2024, l’Aide publique au développement (APD), composante essentielle de l’action humanitaire, représentait 212 milliards de dollars. Ce volume important des transactions financières lui fait dire que le secteur fonctionne comme une véritable industrie, avec des risques élevés de corruption. Lors des travaux de clôture du « Panel relatif à la redevabilité, à la transparence et au développement durable » en 2012, Ban Ki-Moon avait publiquement affirmé que « 30 % de l’assistance n’atteignait pas sa destination finale du fait de la corruption ».

S’il ne peut confirmer ce chiffre, André Caria indique tout de même que la plupart des sources disponibles évaluent les pertes entre 5 et 30%. 

Faible niveau de détection

En dépit de l’ampleur du phénomène, le niveau de détection reste faible. « À titre illustratif, les données de l’Association des examinateurs de fraudes certifiés estiment à seulement 3,1 milliards de dollars le montant cumulé des cas détectés et reportés dans le monde, soit moins de 0,06% des pertes réelles. De même, si l’on se base sur les rapports publics de l’ONU, les pertes liées à la corruption au cours des six dernières années n’ont représenté que 0,01% du budget, un chiffre dérisoire comparé à la réalité », avance André Caria.

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À partir de son expérience d’enquêteur, l’expert anti-corruption souligne une diversité des schémas de fraude et de corruption dans le secteur humanitaire. À commencer par les achats avec notamment la manipulation des prix, de la quantité ou encore de la qualité des marchandises : « Ces manipulations, isolées ou combinées, peuvent entraîner des surcoûts injustifiés, l’achat de produits de mauvaise qualité ou la falsification des quantités livrées ». 

Les services financiers ne sont pas en reste, avec des pratiques de détournement de fonds, de fausse facturation, de manipulation des taux de change entre différentes devises. À cela, on pourrait ajouter des formes de corruption plus sophistiquées en lien avec les projets humanitaires, telles que le paiement pour accéder à des zones, à des permis, pour faciliter l’entrée de matériels. Ou encore la prolifération de bénéficiaires, d’employés et de consultants « fantômes ».

Penser à un système de détection proactive 

Alors quel peut être le rôle des structures de contrôle dans la détection de ces pratiques ? Selon Boureima Dao, chef de département investigation et lutte contre la corruption à l’Inspection générale des Finances (IGF), son organisation mène des audits dans les différentes structures, révélant par moment des irrégularités ainsi que le non-respect des réglementations. Sur la base de ces constats, des recommandations sont formulées pour une meilleure prévention de la corruption.

Les participants ont questionné l'efficacité des mesures actuelles de lutte anti-corruption, suggérant l'amélioration des procédures judiciaires et l'allocatrion de moyens conséquents à l'ASCE-LC pour vérifier systématiquement la sincérité des déclarations d'intérêts et de patrimoine des agents publics.

Tout en reconnaissant la nécessité des audits financiers, André Caria les juge, néanmoins, inefficaces pour la détection des cas de fraude ou de corruption. L’associé gérant de Ariska Consulting LLC préfère insister sur l’importance des signalements. D’après les statistiques disponibles, 42% des cas de fraude sont découverts grâce à ce procédé. Ce qui en fait le moyen le plus efficace pour repérer les irrégularités. Cette constante place donc la dénonciation volontaire au cœur de la lutte anti-corruption, bien au-delà des contrôles techniques classiques. Cependant, l’efficacité des signalements dépend de la confiance citoyenne dans le système de protection des lanceurs d’alerte, que ceux-ci soient internes ou externes à l’organisation. D’où, selon lui, l’importance de disposer à la fois d’un espace civique empreint de liberté d’expression et d’un système efficace de protection des dénonciateurs.

Monsieur Caria recommande ainsi la mise en place de lignes d’alerte sécurisées et une approche proactive de détection, utilisant des outils de données combinés à l’intelligence artificielle pour identifier les anomalies. 

Prévention active

Pour être efficaces, les moyens technologiques doivent être intégrés à une approche stratégique de détection, pilotée par une véritable culture de gestion des risques. « Il faut aller plus loin que la détection en s’engageant dans une prévention active, encore trop rare. Cela implique de comprendre les leviers psychologiques de la fraude et d’intégrer la lutte contre la corruption dans toute la chaîne de l’action humanitaire, de la planification à l’évaluation », conseille l’expert anti-corruption.

Agence onusienne chargée de la protection des personnes déplacées, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (UNHCR) déclare s’inscrire dans cette démarche de prévention active en appliquant une « politique de tolérance zéro contre la corruption ». Pour Maarouf Idohou, administrateur en charge du contrôle de projet, l’UNHCR mise sur l’analyse des risques, le contrôle interne, la sensibilisation et la formation des acteurs. De fait, l’éthique constitue l’épine dorsale de l’organisation qui a, par ailleurs, mis en place un mécanisme de protection des lanceurs d’alerte. 

De son côté, Pierre Bako, Inspecteur technique des services (ITS) au ministère de la Solidarité et de l’Action humanitaire, s’est appesanti sur les mécanismes anti-corruption déployés par son ministère, à savoir l’adoption d’un code d’éthique, la création d’un comité d’éthique et de déontologie, et de structures de contrôle interne. D’autre part, il soutient qu’« un mécanisme de gestion des plaintes a été opérationnalisé dans les structures déconcentrées, en plus des actions de sensibilisation et de formation menées auprès du personnel ». À en croire l’ITS, le ministère prévoit renforcer ces mécanismes avec l’élaboration d’un manuel de procédures administratives et la création de cellules anti-corruption dans les régions.

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Malgré ces différents mécanismes déployés ou en cours de déploiement, Me Prosper Farama observe que l’affaire Amidou Tiegnan a mis en exergue la faiblesse des mécanismes de contrôle des structures publiques : « Les acteurs de corruption ont su s’adapter aux différents mécanismes de prévention et recourent à des méthodes de corruption de plus en plus sophistiquées ». Mettant l’accent sur l’importance de la volonté politique dans la lutte contre la corruption, l’avocat, représentant le REN-LAC à ce panel, appelle à un diagnostic des mécanismes actuels afin d’évaluer leur impact pour les perfectionner davantage. 

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